30.12.14

Haunted interior. Inside au Palais de Tokyo


One need not be a Chamber—to be Haunted—
One need not be a House—
The Brain has Corridors—surpassing
Material Place—


Emily Dickinson








On entre dans l'exposition Inside au Palais de Tokyo en passant sous les poutres de l'installation de Enrique Oliveira dont le bois de tapures, provenant de palissades éphémères destinées à protéger les chantiers proliférant de Sao Polo, semble vouloir retourner à la nature. Une oeuvre forte qui nous interroge sur nos racines, sur notre ancrage. Organique ou urbain?  On traverse la forêt de carton découpé d'Eva Jospin. D'où venons-nous? Où voulons-nous aller? Par quels rites de passage parviendrons-nous à trouver une ouverture? L'épreuve de confrontation à soi-même et à l'autre dans le parcours labyrinthique peut commencer, l'exploration de territoires de l'entre-deux entre ouverture et enfermement, entre dehors et dedans brouillent nos repères habituels et nos routines bien huilées. Les dessins du Troisième jour de Marc Couturier nous offre une contemplation plus sereine et une mise à distance poétique de nos peurs. Le graphite s'empare des murs tout en douceur pour raconter l'élan originel de la création. Avec la sculpture d'Abraham Poincheval, une peluche habitable, on se glisse dans la peau de l'ours, dans la peau de l'autre pour retrouver l'animalité qui est en nous. La visite se poursuit avec de très belles pièces de Ryan Gander, moulages en résine et en marbre de cabanes improvisées par sa petite fille avec des coussins, des draps, des livres et des tréteaux. Imitant les drapés de la sculpture classique ces oeuvres nous placent sous l'immense protection symbolique de la cabane d'enfant tout en nous confrontant à la froideur glacée du marbre. Plaisir et joie avant de continuer vers des contrées plus  troubles et des propositions plus sombres et inquiétantes.  L'installation de Berdaguer et Péjus, C28 nous immerge dans un paysage mental tout blanc constitué de dessins d'arbres réalisés par des patients lors de tests psychologiques, auto-portraits qui renvoient à des histoires individuelles dans lesquelles chacun peut retrouver une part de soi ou de l'autre. Le refuge de Stéphane Thidet est une cabane en bois qui n'offre aucun abris puisqu'il pleut à flot à l'intérieur. Rapport d'inversion, on regarde par la fenêtre la pluie tomber à l'intérieur. Où est le refuge, à l'extérieur, en nous-même peut-êtreMarcius Galan nous fait passer de l'autre côté du miroir avec Diagonal Section, une oeuvre illusionniste pour une expérience initiatique. Le parcours nous piège et nous dirige vers des territoires de plus en plus bouleversants, parfois à la limite du tolérable. L'exposition nous tend un miroir de notre propre espace intérieur, de nos doutes, de nos morcellements, de  nos conflits, de nos dénis. Reynolds Reynolds et Patrick Jolley mettent le feu à notre intérieur dans une vidéo qui ne manque pas de nous interroger, de nous suffoquer. N'espérez pas y échapper. Valia Fetisov a imaginé un dispositif qui vous enferme seul dans une pièce vide ou presque, à l'exception d'une chaise et d'un moniteur; sans indication chacun doit trouver en lui-même la solution pour en sortir. Libre à vous de prendre ou non le risque de cet enfermement. Ouf! La Salle des instructions de Jean Michel Alberola fait parler les murs et nous suggère que la sortie est à l'intérieur. (Parcours incomplet, cliquer ici pour en savoir plus).



Inside 

20 octobre - 11 janvier 2015

13 avenue du Président Wilson
75 116 Paris




Photographie, © Ryan Gander, I is...


22.12.14

Les ailes du vertige. La couleur et le sacré


Vues des Anges, les cimes des arbres peut-être
sont des racines, buvant les cieux ;
et dans le sol, les profondes racines d'un hêtre
leur semblent des faîtes silencieux.

Rainer Maria Rilke, Vergers










Mark Rothko, Untitled, 1950-52. 1900 x 1011 x 35 mm




6.12.14

Et les fruits passeront les promesses des fleurs. Clémence Veilhan's Ode to Loss













Il y a un mystère des corps, de la transformation, du devenir. Il y a des questions qui semblent si évidentes qu'il serait gênant de les poser. Où est la petite fille qui était nous, où est la vieille femme qui chaque jour prend la place de l'enfant? Où vont les corps qui se transforment, que sont devenues ces petites mains rondes et potelées, ce regard transparent, cette petite tête pensive?
Les robes, les vêtements, sont des peaux qui gardent la trace des corps, des peaux qui transforment la personne, la personnalité. Que devient-on dans la robe de l'autre, dans la peau de l'autre? Est-ce que les mémoires s'échangent? Est-ce que le temps change son cours? Est-ce que les gestes, la voix, les pensées bougent? Pourquoi garder certains vêtements comme des reliques, comme les gardiens d'un moment qui ne sera plus jamais. Pourquoi cette douleur à se séparer de vieilles gangues?
Dans sa série Je n'ai jamais été une petite fille, la photographe Clémence Veilhan pose ces questions peut-être, et d'autres encore quand elle demande à de jeunes femmes d'endosser la robe verte de taffetas, à col claudine de son enfance. La contrainte est toujours la même, enfiler la robe, penser à son enfance. Une pellicule de trente-six poses pour chaque sujet, une photographie argentique avec temps de pose très long. Trente-six poses c'est beaucoup et c'est peu, pour garder une  forme de sacré, une tension, une vérité.
D'ou vient que ces photos exercent un tel envoûtement, un charme si puissant qu'on voudrait pouvoir les regarder longuement, dans la solitude, dans le retour sur soi, sur sa propre enfance. Chaque photo raconte une histoire, les mains les doigts les bras les jambes les pieds parlent. Les visages les yeux les bouches les cheveux disent. Mais on ne voit pas les pieds, ce sont des portraits en plan italien. Et pourtant on voit les pieds, on voit plus que ce qui est montré, on voit loin très loin dans le passé et dans le futur, on voit ce qui n'est pas visible et qui pourtant circule, cette énergie de la robe, cette énergie des intimités qui se brouillent qui se dédoublent qui se superposent et se morcèlent pour mieux se reconstruire, pour nous donner de la joie. Ces femmes qui comme des guirlandes de papier se donnent la main symboliquement, toutes sans exception ont accepté de revêtir cette robe, de partager ces émotions qui les grandissent. A regarder longtemps, à regarder vraiment, un frisson nous parcourt, c'est une véritable anamnèse que la photographe fait advenir dans le mystère de sa chambre noire. Mes mains se sont souvenus, ont soudain pris la pose, ont retrouvé la plasticité de leur cinq ans pour convoquer des souvenirs oubliés, mais pas perdus. Rien ne se perd, tout attend comme le fruit dans le bourgeon.




Galerie Laure Roynette

Et les fruits passeront les promesses des fleurs
20 rue de Thorigny
75003 Paris


29 novembre-31 janvier 2015